1- En votre âme et conscience :
Dès les débuts de la télévision, dans le cadre d’une série d’émissions consacrée chaque fois à une grande affaire judiciaire passée et déjà jugée, Pierre DUMAYET exposait celle-ci au public puis proposait à la défense de venir à nouveau plaider, laissant aux téléspectateurs le rôle de jurés afin qu’ils rejugent cette affaire en leur âme et conscience. Pierre DESGRAUPES, Pierre DUMAYET et Claude BARMA ont ainsi, en 1957, porté sur le petit écran une sorte de remake du procès d’Eugen WEIDMANN à Versailles, joué comme une pièce de théâtre en plusieurs actes avec de vrais acteurs.
Les archives de l’INA l’ont rendu disponible sur You Tube à l’adresse URL suivante :
http://www.ina.fr/video/CPF86633202
Pierre DESGRAUPES qui présente l’émission explique qu’il a volontairement choisi de ne pas représenter, dans ce téléfilm, les grands avocats du barreau qui y ont participé mais seulement WEIDMANN dont le nom véritable est donné et ses coéquipiers Roger MILLION, Jean BLANC et Colette TRICOT dont il a changé les noms par respect pour leurs descendants. Mais on a envie de sourire devant les pseudonymes qu’il leur a choisis:
Roger MILLION s’appelle dans ce téléfilm MILLIARD, Jean BLANC devient Jean NOIR et Colette TRICOT (qui de son vrai prénom s’appelait Renée mais se faisait appeler Colette) se nomme Colette GILET…
Laurent TERZIEFF, auteur d’origine russe, y joue le Rôle de WEIDMANN. Il est alors âgé de 22 ans. Marcel CARNE le remarquera dans cette interprétation excellente qu’il fait d’une voix rocailleuse que l’on imagine facilement être celle d’un sujet de langue maternelle allemande. Ce sera le début de la carrière de Laurent TERZIEFF qui interprétera l’année suivante le rôle d’Alain dans le film « Les tueurs » et restera une grande vedette de théâtre, de cinéma et de théâtre pour la télévision jusqu’à son décès le 2 juillet 2010 à Paris.
2- Comment l’ont vus des auteurs célèbres de son époque :
« Weidmann vous apparut dans une édition de cinq heures, la tête emmaillotée de bandelettes blanches, religieuse et encore aviateur blessé, tombé dans les seigles un jour de septembre pareil à celui où fut connu le nom de Notre-Dame-des-Fleurs. Son beau visage multiplié par les machines s’abattit sur Paris et sur la France, au plus profond des villages perdus, dans les châteaux et les chaumières, révélant aux bourgeois attristés que leur vie quotidienne est frôlée d’assassins enchanteurs, élevés sournoisement jusqu’à leur sommeil qu’ils vont traverser, par quelque escalier d’office qui, complice pour eux, n’a pas grincé. Sous son image, éclataient d’aurore ses crimes : meurtre 1, meurtre 2, meurtre 3 et jusqu’à six, disaient sa gloire secrète et préparaient sa gloire future. »
Jean Genet Introduction de Notre dame des fleurs
• Editions l’Arbalète, 1948.
« Madame,
… Je n’ai aucune prévention romantique en faveur des assassins. Mais il me semble que, passé un certain degré dans l’horreur, le crime se rapproche de l’extrême misère, aussi incompréhensible, aussi mystérieux qu’elle. L’une et l’autre mettent une créature humaine hors et comme au-delà de la vie.`
J’ignore tout du misérable que vous assistez. Mais il est impossible de regarder sans une espèce de terreur religieuse les admirables photographies de « Paris soir », particulièrement celle du mardi 14, qui est, entre deux braves têtes de gendarmes quelconques, l’image même de la solitude, d’un surnaturel abandon. Je dînais ce soir-là dans un monastère proche de Toulon, et je répétais aux religieux qui me tenaient compagnie et qui ignoraient cet effrayant fait divers, la parole que les journalistes mettent – faussement d’ailleurs peut-être – dans la bouche d’Eugène Weidmann (« C’est parce que vous me parlez avec douceur… »).
Je ne vous rapporterai pas notre conversation, qui s’est prolongée bien tard dans la nuit. Qu’un enfant ait pu venir au monde avec ce signe invisible déjà écrit sur son front, cela doit fournir le prétexte à beaucoup d’ingénieuses hypothèses de la part des psychologues ou des moralistes. Je ne suis pas psychologue et encore moins moraliste, étant chrétien. Une telle pensée n’éveille en moi que le sentiment déchirant, déchirant jusqu’à l’angoisse, et au-delà de l’angoisse, déchirant d’une espérance à peine concevable : – la solidarité de tous les hommes dans le Christ.
C’est à vous, Madame, que je remets le soin d’exprimer ou de taire à Eugène Weidmann ma pensée et celle de mes amis moines. Pour moi, je ne lui apporte pas grand-chose. Je voudrais qu’il fût capable de comprendre que des religieux dans leur solitude, font mieux que de le plaindre, prennent fraternellement désormais une part de son épouvantable fardeau. »
Lettre de Georges BERNANOS à Maître Renée JARDIN