« Weidmann vous apparut dans une édition de cinq heures, la tête emmaillotée de bandelettes blanches, religieuse et encore aviateur blessé, tombé dans les seigles un jour de septembre pareil à celui où fut connu le nom de Notre-Dame-des-Fleurs. Son beau visage multiplié par les machines s’abattit sur Paris et sur la France, au plus profond des villages perdus, dans les châteaux et les chaumières, révélant aux bourgeois attristés que leur vie quotidienne est frôlée d’assassins enchanteurs, élevés sournoisement jusqu’à leur sommeil qu’ils vont traverser, par quelque escalier d’office qui, complice pour eux, n’a pas grincé. Sous son image, éclataient d’aurore ses crimes : meurtre 1, meurtre 2, meurtre 3 et jusqu’à six, disaient sa gloire secrète et préparaient sa gloire future. »
Jean Genet Introduction de Notre dame des fleurs
- Editions l’Arbalète, 1948.
« Madame,
… Je n’ai aucune prévention romantique en faveur des assassins. Mais il me semble que, passé un certain degré dans l’horreur, le crime se rapproche de l’extrême misère, aussi incompréhensible, aussi mystérieux qu’elle. L’une et l’autre mettent une créature humaine hors et comme au-delà de la vie.`
J’ignore tout du misérable que vous assistez. Mais il est impossible de regarder sans une espèce de terreur religieuse les admirables photographies de « Paris soir », particulièrement celle du mardi 14, qui est, entre deux braves têtes de gendarmes quelconques, l’image même de la solitude, d’un surnaturel abandon. Je dînais ce soir-là dans un monastère proche de Toulon, et je répétais aux religieux qui me tenaient compagnie et qui ignoraient cet effrayant fait divers, la parole que les journalistes mettent – faussement d’ailleurs peut-être – dans la bouche d’Eugène Weidmann (« C’est parce que vous me parlez avec douceur… »).
Je ne vous rapporterai pas notre conversation, qui s’est prolongée bien tard dans la nuit. Qu’un enfant ait pu venir au monde avec ce signe invisible déjà écrit sur son front, cela doit fournir le prétexte à beaucoup d’ingénieuses hypothèses de la part des psychologues ou des moralistes. Je ne suis pas psychologue et encore moins moraliste, étant chrétien. Une telle pensée n’éveille en moi que le sentiment déchirant, déchirant jusqu’à l’angoisse, et au-delà de l’angoisse, déchirant d’une espérance à peine concevable : – la solidarité de tous les hommes dans le Christ.
C’est à vous, Madame, que je remets le soin d’exprimer ou de taire à Eugène Weidmann ma pensée et celle de mes amis moines. Pour moi, je ne lui apporte pas grand-chose. Je voudrais qu’il fût capable de comprendre que des religieux dans leur solitude, font mieux que de le plaindre, prennent fraternellement désormais une part de son épouvantable fardeau. »
Lettre de Georges BERNANOS à Maître Renée JARDIN