L’arrestation d’un certain KARRER qui se trouve être Eugen WEIDMANN

Le patronyme WEIDMANN fort répandu outre Rhin signifie en allemand ancien « Chasseur » et il se présentera à sa première victime, la danseuse américaine Jean de KOVEN comme se nommant « HUNTER » traduction littérale de son nom véritable. Depuis l’affaire du même nom, le nom de famille WEIDMANN est pour certain le représentant d’un nom de meurtrier. Pourtant le prénom Eugen d’origine grecque, que lui avaient donné ses parents signifie, « le bien né », ce qui ne s’applique vraiment pas à l’histoire d’Eugen WEIDMANN. Celui-ci ne correspondra malheureusement pas au désir dont ses parents l’avaient fait porteur, peut être même sans le savoir eux-mêmes, en lui donnant ce prénom.

L’histoire d’Eugen WEIDMANN telle qu’elle est racontée par les journaux de l’époque est émaillée de contre-vérités dans le récit qui en est fait aussi bien que d’actes manqués réalisés par l’intéressé lui-même. Impossible de tous les reprendre dans le cadre de cet article.

Il a été arrêté le 8 décembre 1937 pour le meurtre d’un agent immobilier de la Celle Saint Cloud, Raymond LESOBRE. De son arrestation, il est lui-même en partie responsable par ce que les psychanalystes appelleraient un acte manqué : il avait laissé à cet agent immobilier, lors d’une première visite, une carte de visite portant le nom d’Arthur SCHOTT, un oncle d’un de ses anciens compagnons de prison Fritz FROMMER. Seul indice aux mains des policiers, la piste est assez rapidement remontée car Arthur SCHOTT a un alibi sans faille : Représentant en lingerie féminine il prospectait à l’époque en Alsace. Mais ses cartes de visites étaient de fabrication récente, et il n’en avait donné que quelques exemplaires dont une à son neveu. La police se rend au domicile parisien de FROMMER pour découvrir qu’il a disparu. C’est en fait une autre des victimes de WEIDMANN, mais on ne le saura que plus tard.

« L‘assassin aux yeux de velours » ou « le monstre de La Voulzie » ou bien encore  « the Landru’s successor » comme le dénommeront les journaux de l’époque, ce jeune homme de 29 ans, brun aux yeux bleus, de taille moyenne mais avec une certaine prestance et un visage emprunt de douceur, Eugen est connu au moment de son arrestation sous le nom de KARRER, nom sous lequel il a loué la Voulzie, la maison où il habite depuis quelques mois à la Celle Saint Cloud.

Deux inspecteurs de Police Emile BOURQUIN et Ange POIGNANT, de la première Brigade Mobile, sont venus examiner cette maison isolée, qu’un cabinet de la Celle Saint Cloud louait depuis juin à un jeune allemand. Et dans le jardin ils ont vu deux voitures dont une Renault Celtaquatre qui ressemble beaucoup à celle de LESOBRE disparue en même temps que son propriétaire. De plus ces deux voitures se trouvent avoir toutes les deux exactement les mêmes plaques d’immatriculation. Les deux inspecteurs, n’ayant pas de mandat de perquisition attendent leur chef l’inspecteur PRIMBORNE devant la maison qui paraît vide.

Vers 14 heures 30, un homme passe dans la rue. D’allure tranquille il se paye même le luxe d’aborder lui-même le policier en lui demandant :

« Vous cherchez quelque chose ? »

– Monsieur KARRER, répond le policier,

– C’est moi, que puis-je pour vous ? »

Les policiers sont pris de court, ils prétendent être des agents de contributions directes et ils demandent à rentrer, disant vérifier si les contribuables du quartier sont imposables. Piètre motif, que WEIDMANN ne peut pas ne pas avoir déjoué. Pourtant, il accepte de les laisser entrer, et vient se placer le dos contre la baie qui donne sur la rue. Les inspecteurs sortent leur  carte de Police, et demandent à WEIDMANN de justifier de son identité. Mais après avoir plongé la main dans sa poche il sort un révolver. Deux coups partent puis un troisième, mais seul le chapeau de POIGNANT resté sur sa tête, est réellement touché et traversé par une balle. Deux autres coups seront encore tirés et tout le monde se demandera jusqu’à la fin du procès comment dans un si petit espace personne n’avait été grièvement blessé dans une telle fusillade. Les policiers ne sont pas armés, l’un d’eux de la stature d’un rugbyman maintient WEIDMANN qui se débat comme un forcené et c’est finalement avec un marteau de tapissier qui se trouvait là par hasard que l’inspecteur BOURQUIN parviendra à assommer le soit disant « KARRER ».

Si j’ai raconté en détail la scène de cette arrestation c’est que plusieurs questions se posent à son propos : pourquoi WEIDMANN a t-il de lui-même abordé le policier au lieu de passer tranquillement son chemin ? Se pensait il intouchable ? A t-il voulu épargner un complice ? Il en sera beaucoup question durant les premiers jours du procès mais les inspecteurs assureront que toutes les fenêtres étaient fermées de l’intérieur et qu’il était impossible que quelqu’un se soit échappé pendant la bagarre, comme WEIDMANN l’a prétendu après son arrestation.

Il est encore aujourd’hui difficile d’y répondre mais après avoir pris connaissance du déroulement de la courte vie de cet homme, il est clair qu’il présente une véritable mythomanie, exposant son imaginaire comme s’il s’agissait de la réalité mais celle-ci est souvent déguisée par son esprit prolixe qui tend à se conformer à ce qu’il suppose que son interlocuteur attend de lui. Ce que l’on a dès sa scolarité décrit comme des « rêves de grandeur », expression de sa toute puissance narcissique, peut tout à fait lui avoir donné confiance dans sa capacité à déjouer la machinerie policière. D’autant que les crimes qu’il avait commis en France dans les mois précédents n’avaient pu être élucidés et qu’il pouvait penser que les choses continueraient de la même façon.

Peut être aussi, a t-il cherché à prévenir par le bruit des coups de feu son ami Léon MOULY qui apparaît et disparaît au fil des emprisonnements de WEIDMANN et qui habitait à deux rues de là. Personnage louche qui fournissait des passeports et écoulait le produit de cambriolages, son rôle dans cette affaire n’aurait il pas été minimisé ?

En tous les cas, il apparaît comme véridique qu’Eugen WEIDMANN n’avait pas l’intention de tuer les inspecteurs BOURQUIN et POIGNANT. La tentative d’homicide sur ceux ci sera cependant retenue dans le 20ième des 23 chefs d’accusation « blessures sur les 2 inspecteurs de police … avec intention de leur donner la mort ».

A son arrivée au commissariat, un médecin pensa les plaies qui n’étaient superficielles et le bandage teinté de sang lui donna un aspect répété en de multiples exemplaires à partir de la photo publiée par Paris Soir, ce que Jean Genet décrira dans son introduction de Notre Dame des Fleurs comme « la tête emmaillotée de bandelettes blanches, religieuse et encore aviateur blessé tombé dans les seigles…révélant aux bourgeois attristés que leur vie quotidienne est frôlée d’assassins enchanteurs élevés sournoisement jusqu’à leur sommeil qu’ils vont traverser, par quelque escalier d’office qui, complice pour eux n’a pas grincé… ».

Cette image accompagnera désormais GENET dans tous ses déplacements, et il en fit cadeau notamment à Jean COCTEAU.

Et Georges BERNANOS enverra en décembre 1937 une longue lettre à l’une des avocates de WEIDMANN, Renée JARDIN, où il évoquera « les admirables photographies, particulièrement celle du mardi 14 qui est .. l’image même de la solitude, d’un surnaturel abandon… »

Des remords concernant ses crimes, il ne semble pas en avoir lorsqu’il est arrêté. Pour lui « les assassinats commis ne sont pas graves puisque ses victimes n’ont pas souffert ». Cependant, les archives de la Préfecture de Police signalent dans leur enquête une anecdote surprenante, jamais reprise par les journaux. Cet évènement se situe quelques jours après l’assassinat de Jean de Koven : « fin juillet début août 1937, Eugen WEIDMANN a été demander à la secrétaire de l’Office central des Œuvres, 175 Boulevard Saint Germain à Paris, de lui poster quelques jours plus tard, à une heure précise, une lettre en allemand qu’il dit être destinée à sa mère. Ceci, après avoir demandé à cette même personne le nom de quelqu’un à qui il lui serait permis de se confier, ayant à faire une confession d’un intérêt capital. La dame lui donne l’adresse d’un prêtre, d’une mission protestante et d’un interlocuteur israélite mais elle refuse de poster la lettre si elle n’en peut lire le contenu, son fils lisant l’allemand. WEIDMANN apprend-on, « pleura longuement sur son refus définitif » et la quitta en lui disant qu’il allait se tuer.

A t-il donc un accès à la culpabilité ? il est difficile d’y répondre en n’ayant pas plus d’éléments sur cette entrevue. Mais un autre aspect de son caractère nous apparaît ici. Même si l’on ne doit pas donner un crédit absolu à cette évocation de projets suicidaires, il est clair qu’ Eugen WEIDMANN, enfant gâté par une vie petite bourgeoise dans son enfance, mais où il a été fort peu encadré et soutenu dans les efforts par son milieu familial, a des tendances dépressives, qui le conduisent à beaucoup changer de lieu de vie, dans l’espoir de se sentir mieux ailleurs. Mais cette dépression ne le quittera jamais, jusqu’au dernier soir de sa vie où il dira « être content que tout cela finisse car ainsi il ne vieillirait pas ».

D’ailleurs la première phrase du cahier rouge, les mémoires qu’il écrivit en prison parle de «  l’ennui de sa vie ».

A propos CARRE-ORENGO

Psychiatre intéressée par la criminologie et la personnalité des criminels
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